Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec Lettre sans mention de Vienne en Autriche - 19 juin 1809 De M. Akerblad Relevé des services de Paul-Louis Courier Suiv

Rome le 21 juin 1809

A Monsieur
Monsieur Courier
Chef d’escadron de l’artillerie et
Membre de la Légion d’honneur
à Paris


Mon très cher commandant,

L Général Jean Ambroise Baston de Lariboisière Expédition de Cyrus  a belle lettre que vous m’avez écrite de Milan, il y a trois mois[1] ne m’est parvenue que la veille de mon départ pour Florence. A peine arrivé à Rome je me suis occupé de vos affaires, et j’ai tout arrangé de mon mieux et j’espère selon vos désirs, mais ne sachant pas votre adresse en France, il m’a été impossible de vous écrire plus tôt. J'ai enfin su, par une lettre de M. de Sacy, que vous avez fait une apparition à Paris, et je m'empresse de vous écrire ces lignes que j’adresse à cet ami qui aura soin de déterrer votre demeure dans la grande ville et de vous les faire tenir.
Sachez donc, mon cher commandant, que depuis plus d'un mois j'ai dans ma maison une quarantaine de bouquins qui vous appartiennent, et que j'ai retirés de chez l'honnête D. Vincenzo contre mon reçu. L'ouvrage que réclame Visconti, l'antiquaire, se trouve du nombre, et j'ai déjà prévenu son frère le libraire que ce livre se trouve chez moi à sa disposition.
Votre Amati est un peu mécontent de vous, n'ayant pas depuis longtemps palpé de votre argent. Le bonhomme prétend que les dix piastres que vous lui avez données à votre dernier départ de Rome n'étaient qu'une ancienne dette pour certains soins qu'il avait donnés à vos chevaux et cavaliers de Xénophon. L’άνάβασις[2] est, selon lui, un marché à part, et d'une tout autre importance. En effet j'ai vu son travail, et il faut avouer qu'Amati s'est surpassé lui-même tout comme il a surpassé votre attente et vos désirs même; car au lieu de variantes d'un seul manuscrit vous en avez de quatre, et le tout forme une énorme liasse en grand in-folio. Vous trouverez des accents, des virgules, des lettres, des mots, des phrases, enfin des lignes et périodes entières, qui pour la première fois iront prendre leur place dans l'édition que vous nous donnerez un jour de l'expédition de Cyrus[3]. Cela vous fera une gloire immortelle, dit Amati, qui renonce généreusement en votre faveur à condition que vous lui donnerez force beaux sequins. Ne voulant cependant m'en rapporter là-dessus à son avis, j'ai prié Marini d'estimer son travail, et d’en fixer un prix convenable, et Marini, quoique très peu porté pour Amati, m’a répondu qu'en conscience vous ne pouvez lui donner moins de vingt louis. Voyez un peu si le prix vous convient car s'il vous effraie trop, il y aurait moyen, je crois, de vendre ces variantes en Allemagne où Amati vient de se défaire assez avantageusement de son apparatus sur Denys d'Halicarnasse et où il jouit déjà d’une certaine réputation à cause d’une découverte qu’il croit avoir faite que le traité περὶ ὕψους[4] n’est pas de Longin mais de Denys d’Halicarnasse. Ses preuves qui me semblent assez faibles ont cependant fait du bruit en Allemagne, et le pauvre Amati est tout glorieux d'avoir fait parler de lui et de sa découverte ces savantissimes professeurs. J’attendrai vos ordres, mais en attendant, si vous voulez garder le travail d’Amati, envoyez au moins un à-compte à ce pauvre grœculus esuriens[5] , qui est plus maigre que jamais.
Vos amies et amis ici désirent vivement votre retour à Rome. On dit que vous avez quitté le service ; d'autres ajoutent que déjà vous méditez d'y rentrer (je vous connais bien là). Quoiqu'il en soit, tâchez de venir dans notre ville, libre et impériale, où je désire bien de vous revoir. Micali est depuis un mois ici, mais il s’en retourne sous peu à Florence. Moi je suis ancré, et j’espère pour longtemps, à Rome, où j’ai trouvé mes livres que je n’avais pas vus depuis dix ans. Adieu, mon très cher commandant, donnez-moi de vos nouvelles et de celles de nos amis à Paris. Embrassez nos confrères en grec, surtout Omega et Bast . Mon adresse est : piazza di Spagna n°78, à Rome. Je vous embrasse de cœur et d’âme en vous priant de me conserver votre amitié, et d’être persuadé de tous les sentiments d’estime et de haute considération que je vous ai voués pour la vie.

Akerblad


[1] Cf Lettre de Courier du 2 mars 1809.  Note1
[2] L'Anabase ou Expédition de Cyrus et Retraite des dix mille.  Note2
[3] Cet ouvrage ne verra jamais le jour.  Note3
[4] Du sublime. Ce traité fut longtemps attribué à Longin. En 1809, reprenant l’argumentation de Jérôme Amati, l’helléniste allemand Weiske confirma que Longin ne pouvait être l’auteur du traité Du sublime mais réfuta l’hypothèse d’Amati qui attribuait la paternité de ce texte à Denys d’Halicarnasse. De son côté, Boissonade, alias Omega, que Courier respectait pour son savoir pensa que ni Longin ni Denys d’Halicarnasse ne furent l’auteur de ce traité.  Note4
[5] Allusion au vers 78 de Juvénal, tiré de sa satire 3, les embarras de Rome :
Græculus esuriens in cœlum, jusseris, ibit.
Ce vers porte un jugement péjoratif sur « le Grec qui ne mange pas à sa faim. »  Note5

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